CHAPITRE XII

Occupation de Borleias, trente-neuvième jour

Dans le couloir des appartements des gradés, là où s’étaient installés la plupart des membres du Cercle Intérieur, une petite foule affectueuse barra le passage à Jaina. Wedge, Iella et leurs filles, Luke, Mara, le petit Ben, Kam et Tionne Solusar de l’Académie Jedi, Yan, Leia et C-3PO étaient réunis pour faire leurs adieux et donner des instructions de dernière minute.

— Je ne veux pas partir.

La voix de Syal, la plus âgée des filles de Wedge… Son ton n’était pas plaintif. Bien qu’elle n’ait pas plus de dix ans, elle ne gémissait pas : elle exprimait un sentiment. Syal était une enfant qu’on avait entraînée à penser et à argumenter de manière rationnelle.

— Je sais, dit Wedge.

Il s’agenouilla près de ses filles et les prit dans ses bras.

— Mais quand vous serez en sécurité, je m’inquiéterai moins de votre sort et je pourrai mieux faire mon travail.

— Nous prendrons bien soin de lui, affirma de son côté Kam Solusar à Mara et Luke.

Mais Mara, concentrée sur son fils, ne paraissait pas entendre. Jaina tendit l’oreille, sans réussir à distinguer ses paroles… d’ailleurs, Mara n’utilisait peut-être pas de mots.

Sans doute communiait-elle avec son enfant à travers la Force.

Luke les étreignait tous les deux, observant son fils avec un émerveillement étonné.

Ni humour noir, ni ironie dans l’expression de Mara. Ce n’était pas une femme adoucie, pensa Jaina, mais une différente… Quelqu’un dont les pensées, l’angle de réflexion restaient cachés à son élève.

Soudain, une vague d’émotions traversa Jaina…

Elle isola un sentiment qui lui était personnel, pas le reflet de ceux de Mara ou de Ben.

De l’envie, reconnut-elle alors que le sentiment s’évanouissait. Mais qui enviait-elle ? Mara ou le bébé ?

— Hé, petite…

Son père remarqua enfin sa présence.

— Tu viens nous dire au revoir, Jaina ? Ou tu nous escortes en orbite ?

— Euh…, balbutia Jaina. J’ignorais que vous partiez.

Lâchant à regret ses filles, Wedge se releva.

— Jaina, nous emmenons en lieu sûr les aspirants Jedi et certains enfants civils, comme les miens. (Il se tourna vers Yan.) Nevil et Corran vous escorteront.

— Mince, dit Yan. Moi qui croyais que j’allais pouvoir donner à ma fille quelques leçons de pilotage. Elle en a bien besoin.

Jaina ne mordit pas à l’hameçon. Elle haussa les épaules.

— Une autre fois, peut-être…

Avec une douceur exceptionnelle, Mara tendit son fils à Luke. Elle embrassa Ben sur le front, puis se détourna… trop lentement. Jaina avait eu le temps de voir la douleur sur son visage. Enfin, d’un pas décidé, Mara partit pour ses appartements.

L’expression tranquille. Comme s’il ne s’était rien passé.

— Alors, les Corelliens junior… qui veut faire un tour dans le Faucon Millenium ?

— Moi !

Myri était plus proche de Yan que sa sœur. Elle lui sauta dessus et Yan la hissa sur son dos. Puis il fit signe à C-3PO.

— Allez, Boucles d’Or ! Prêt ?

— Je suis aussi prêt à partir que je l’étais au début de cette conversation, il y a quatre minutes et trente-huit secondes, gémit le droïd.

— Mais non, espèce de tas de ferraille. Fais comme moi, dit Yan en se baissant.

— Très bien, mais je crains de ne pas comprendre… commença C-3PO en imitant Yan. Oh, conclut-il quand Syal lui sauta sur le dos.

— Parfait, dit Yan. Syal, n’hésite pas à faire claquer le fouet. C’est une monture rebelle.

— Maître Yan, je proteste. Cet adjectif n’est guère approprié pour décrire mon caractère…

Sans l’écouter Yan avança et commença à descendre le couloir, puis il se tourna pour faire un clin d’œil à Jaina.

— J’aurais dû me méfier. Elle pèse aussi lourd qu’un wampa.

— Même pas vrai ! protesta Myri.

Ils passèrent devant Jaina, qui les suivit des yeux, le cœur serré.

Elle avait si souvent grimpé sur le dos de son père. La dernière fois… il n’y avait pas si longtemps… il avait protesté, disant qu’elle était trop lourde. Ou qu’il était trop vieux. Bref, du Yan tout craché.

Le groupe commençait à se disperser. Leia accompagna Wedge et Iella dans l’entrée du complexe, parlant de documents à consulter. Luke la suivait, Ben dans les bras, discutant avec Kam et Tionne.

Jaina se retrouva seule.

Elle approcha de la porte des appartements de Mara et Luke, puis frappa.

— Entrez, dit Mara.

Jaina fit un pas en avant.

Mara se tenait au milieu de la pièce principale. Les meubles avaient été poussés contre les murs, laissant une large zone vide au milieu, sans doute pour méditer. Mara venait peut-être de commencer un exercice, car son visage était un peu rouge et ses cheveux en bataille.

— Je tombe mal, dit Jaina. (Elle désigna le couloir.) Ce départ… Je n’étais pas au courant…

— Rien de grave, expliqua Mara. Ils emmènent les étudiants de l’Académie dans une autre cachette. Un endroit où ils seront en sûreté tandis que l’Aventurier Errant reste ici. Ben les accompagne, ainsi que les filles de Wedge et le gamin, là… Tare.

Mara hésita, comme si elle allait ajouter quelque chose, puis se tut.

— Tout va bien ? demanda Jaina.

— J’ai l’impression que je ne peux plus respirer. Comme si j’avais reçu un coup dans la poitrine…

La sincérité soudaine de Mara déconcerta Jaina. Elle chercha des mots pour la consoler, puis mesura la futilité d’une telle tentative. Elle n’avait jamais vécu d’expérience comparable à celle de Mara. Bien sûr, elle avait perdu Anakin et Jacen. Mais c’était différent. Ils étaient ses frères, pas ses fils.

Cela dit, la perte était irrémédiable.

— Tu pourrais l’accompagner, fit-elle enfin.

— Ne crois pas que je n’y ai pas songé. Ni que la pensée ne me torturera pas jusqu’à ce que tes parents aient décollé. Et même après. (Mara soupira.) Mais mon travail ici et cette mission sur Coruscant sont plus importants que mes sentiments. Si je ne fais pas mon devoir, les Yuuzhan Vong remporteront quelques victoires de plus… et au point où nous en sommes, chacune peut être décisive. En abandonnant Ben, je lui donne une chance de grandir dans une galaxie libre. Si je cède à mon instinct… si je l’accompagne… Ben mourra peut-être. Ou il deviendra l’esclave des Yuuzhan Vong. Et ça, jamais…

Les yeux de Mara étaient fermés, mais elle se maîtrisait… extérieurement, en tout cas.

Car rien ne pouvait contrôler son angoisse.

Jaina sentit dans la Force un torrent de douleur jaillissant de Mara comme l’eau se déverse d’une digue rompue. Le torrent noya Jaina et elle se débattit…

Années seules… le froid de l’espace… dans son cœur… la Main de l’Empereur… venger sa mort… puis Luke… comment la haine est devenue de l’amour… Ben si petit si petit… ai-je été si petite… le reverrai-je un jour… est-ce que je mérite d’être sa mère… ?

La peine frappa Jaina comme un coup dans le ventre. Elle recula et heurta la porte, mais Mara, perdue dans ses pensées, ne s’aperçut de rien.

Jaina résista au désir de la serrer dans ses bras. Elle aussi avait droit à sa part de douleur, et l’univers le lui avait fait savoir avec la perte de ses frères.

Non, elle ne pouvait aider Mara. En partant, la laissant se concentrer sur sa famille, Jaina lui rendait service.

Elle recula et sortit.

La porte se referma derrière elle, mais le courant d’émotions ne disparut pas pour autant. Jaina s’éloigna. La souffrance maternelle la poursuivit, la pénétrant, se mêlant à la douleur liée à la perte de ses frères, jusqu’à devenir insoutenable…

Jaina fit un pas, puis encore un autre. La peine diminua. Arrivée à l’intersection, là où le couloir rejoignait le hall administratif, elle était redevenue elle-même…

Mais ses pensées et ses émotions tourbillonnaient toujours, comme des nuages d’insectes-piranhas sur Yavin 4.

Quelques minutes plus tard, quand elle entra dans son aile X, elle ne s’était toujours pas calmée.

Autour d’elle, les chasseurs et les vaisseaux ronronnaient, gémissaient ou rugissaient en s’éveillant. La jeune femme entendait les sons, sentait les vibrations malgré la protection de sa combinaison et de son vaisseau.

D’habitude, elle trouvait ce vrombissement agréable et familier. Apaisant même. Tous les êtres présents dans ce hangar, l’esprit tourné vers un seul objectif…

… Mais aujourd’hui le bruit était irritant, et l’empêchait de se concentrer.

Le Faucon Millenium était en vue, et Jaina aperçut son père et sa mère dans le cockpit. Sentant son regard, Leia lui fit un signe amical. Jaina lui répondit, l’esprit absent, se forçant à sourire.

Les chasseurs de l’escadron de la « déesse » l’entouraient, ceux de Kyp et de Jag. Kyp effectuait les vérifications de rigueur, regard rivé sur les commandes. Jag, qui avait déjà fini, se détendait sur son fauteuil de pilote, un casque anonyme de chasseur Tie sur la tête.

Certains des êtres qui entouraient Jaina l’aimaient. D’autres la respectaient. Ils seraient blessés quand elle suivrait ses frères dans la mort, mais elle s’occupait de ce problème en éloignant peu à peu ceux qui lui étaient chers, afin que leur souffrance soit moins atroce quand ils la perdraient.

Elle pouvait aller plus loin.

Kyp avait lui souvent proposé de devenir son apprentie. Si elle acceptait, Mara en serait sans doute blessée… Mais Jaina sortirait ainsi de sa vie, ce qui épargnerait ensuite à Mara une blessure plus profonde.

Quant à Kyp, Jaina insisterait pour qu’il maintienne la distance obligatoire entre un maître et une apprentie. Ça mettrait fin à l’intérêt personnel qu’il semblait avoir pour elle.

Restait Jag… Si les choses avaient été différentes… Jaina ignorait combien le jeune homme aurait pu compter pour elle.

Et sans doute se posait-il la même question. Mais Jag avait beaucoup de discipline. Il avait assez perdu de proches pour que sa vie ne soit pas trop affectée par la disparition de Jaina.

Oui, il s’en tirerait.

Jaina prit une profonde inspiration, se sentant plus calme. Elle avait un plan. Ceux qui l’entouraient ne souffriraient pas trop, elle s’organisait pour ça.

Son unité com bipa.

Kyp… une transmission directe, de pilote à pilote, relayée par leurs astromecs respectifs.

— Tu te sens bien ? demanda-t-il.

— Oui. J’utilise une technique tranquillisante.

— Alors elle ne marche pas. Tes émotions grondent.

— Non. Ce n’est qu’une impression. Tout va bien.

Pour clore le débat, elle passa sur la fréquence de l’escadron.

— Leader Soleils Jumeaux à escadron. J’ai quatre moteurs à pleine puissance.

— Soleils Jumeaux Deux. Quatre moteurs brûlants attendant leur cible…

— Soleils Jumeaux Trois, prêt.

— Quatre, prêt à danser.

Une minute plus tard, la permission de décoller s’afficha sur le tableau de bord de Jaina. L’Escadron Soleils Jumeaux fut le premier à jaillir des docks des opérations spéciales, ses chasseurs entourant un des navires coudés que les défenseurs de Borleias appelaient les vaisseaux tubes. Les Rogues suivirent, leur nombre réduit par l’absence de Nevil et de Corran, puis les Chevaliers Sauvages. Chaque escadron protégeait un vaisseau tube. En quatrième venait l’Escadron Lune Noire, le nouveau nom du groupe qui avait protégé la lune de Pyria 4 sous le commandement du capitaine Yakown Reth. Ses chasseurs escortaient le vaisseau en forme de triangle qui était le pivot de l’opération Lanceur d’Etoiles.

Flanqué de deux chasseurs Rogue, le Faucon Millenium suivait.

Un grand cargo ferma la marche, laissant les docks presque vides.

— Leader Soleils Jumeaux à contrôle, dit Jaina. Mission test prête à partir.

— Leader Soleils Jumeaux, ici contrôle. Testez à volonté. Bonne chance.

Jaina conduisit son escadron et leur vaisseau tube dans une lente ascension vers l’atmosphère de Borleias. Nul ne savait quel niveau de contraintes les vaisseaux Lanceur d’Etoiles, encore au stade expérimental, pouvaient endurer. Après chaque mission, les mécaniciens examinaient tous les recoins, réparant les dégâts de leur mieux pour leur faire tenir le coup lors du prochain départ. Personne n’avait encore dit tout haut que les vaisseaux Lanceur d’Etoiles n’étaient pas viables, mais Jaina savait qu’ils utilisaient la plupart des ressources de maintenance et de réparation de Borleias.

Elle espérait que le projet serait à la hauteur des efforts déployés.

L’escadron atteignit l’orbite haute de la planète et les autres groupes se séparèrent, se dirigeant tous vers un point différent du système de Pyria. Tous, sauf le Faucon et son escorte qui s’attardèrent derrière, en orbite.

 

Tam Elgrin se précipita dans sa cabine de la navette et sortit le villip de sa cachette. La douleur le rendait maladroit et il lui fallut plusieurs essais pour faire fonctionner l’objet. Enfin, il le frotta à l’endroit voulu et la forme de son patron apparut.

— Parle, dit la voix de la femme.

— Jaina Solo vient de décoller, annonça Tam. (A chaque mot, sa migraine faiblissait.) Avec son escadron. J’ai réussi à lancer ce, heu, ce truc… ce mécanisme espion… vers son chasseur. Il s’est accroché à la coque. Tout s’est passé selon vos désirs.

Tam obéissait aux ordres. Quelques heures plus tôt, il était allé aux limites de la zone de sécurité, entre la jungle et le complexe, et avait filmé longuement les vaisseaux et les techniciens, laissant le temps aux Yuuzhan Vong d’approcher assez pour lui jeter un paquet. Une boule de gelée où s’agitaient des organismes transparents qui restaient prisonniers, sauf si Tam plongeait ses doigts dans la boule pour les en extraire.

On lui avait ensuite expliqué leur usage.

— Excellent. Tu te débrouilles très bien, Tam. (Les félicitations de son contrôleur et son ton encourageant firent plaisir à Tam. Et il se haïssait pour cela.) Autre chose ?

— Non.

La migraine avait maintenant disparu.

— Contacte-moi pour me décrire le moral de la garnison après la capture de Jaina Solo, dit la femme.

Le villip se dégonfla.

Tam ferma le conteneur et resta un instant immobile.

Il comprenait maintenant comment fonctionnait sa laisse mentale. Quand il échouait, qu’il hésitait ou tardait à suivre les ordres, la douleur commençait. Elle empirait tant qu’il n’avait pas réussi. Et elle diminuait dès qu’il pouvait annoncer son succès.

Mais comme son contrôleur ne pouvait pas savoir, avant que Tam ait fait son rapport, s’il effectuait ou non sa mission, la douleur devait être stimulée par son propre sentiment d’échec. Une partie du cerveau de Tam prenait feu à la moindre étincelle de culpabilité… une hormone, sans doute, qui passait dans son sang, réagissant à un certain type de stress.

Et cette hormone déclenchait les migraines.

Si la douleur devenait trop forte, elle le tuerait, Tam le savait. On le lui avait dit. Il avait senti la souffrance augmenter. Quelque chose, dans son cerveau, était prêt à lâcher. Sans doute un anévrisme fatal.

S’il avait pu trouver un moyen de manipuler la douleur. Ne ressentir ni culpabilité, ni stress, de manière à ne pas déclencher le processus… Mais à cette idée, ses tempes le brûlèrent et la douleur se réveilla.

Tam se laissa tomber sur la couchette, vaincu.

Il n’avait même pas droit à ce genre de pensées.

Esclave, il était et esclave il resterait !

Tam quitta la navette, la tête baissée.

 

Yan s’allongea sur son fauteuil et regarda les étoiles.

— A quoi penses-tu ? demanda Leia, assise dans le nouveau siège du copilote.

— Tu me connais, dit-il. Je ne pense jamais à rien.

— Je te connais, en effet… A quoi penses-tu ?

— A ce que je ferai quand nous nous serons débarrassés des Vong. J’aimerais bien reprendre mon ancien boulot…

— Tu plaisantes ?

— D’une manière qui convienne à un homme de mon âge et de mon expérience, bien sûr. Et je me disais que quelqu’un avec tes talents et ton réseau d’influence, ma chère, pourrait m’être très utile…

Leia l’observa un moment, hésitant entre l’amusement et l’outrage.

— Tu désires que je me lance dans la contrebande ?

— Pourquoi pas ? Tu veux arrêter la politique… C’est peut-être à ton tour de me suivre un moment. Comme je l’ai fait tandis que tu étais occupée à gouverner la galaxie…

— Tu ne me suivais pas ! Tu faisais du tourisme…

— C’était ma manière de suivre. Je suis certain que tu te débrouillerais mieux que moi.

— Yan… Je ne fais peut-être plus de politique, mais je suis encore… eh bien, honnête.

— Maîtresse Leia, capitaine Solo…

La voix de C-3PO résonna dans le cockpit. Yan et Leia se retournèrent pour voir le droïd de protocole debout sur le seuil. Comme toujours, il semblait à la fois nerveux, gêné et hautain.

— Qu’y a-t-il ? demanda Yan.

— Ce sont les enfants… Je me demandais quels jeux je pourrais leur proposer… Ils… Enfin, ils s’ennuient.

— Déjà ? Ça fait deux minutes que nous avons décollé !

— Il en faut au moins trois à Yan avant d’atteindre ce stade, dit Leia.

Son mari la foudroya du regard.

— Propose-leur les jeux holographiques, dit-il à C-3PO.

— Je l’ai fait, capitaine, mais ils semblent trouver le système un peu dépassé.

— Dépassé ? Je l’ai acheté flambant neuf quand…

Yan s’interrompit. Il l’avait acheté flambant neuf… trente ans auparavant.

Leia ne put retenir un sourire amusé.

— C-3PO, dit-elle, laisse les plus jeunes utiliser les sabres laser contre le système d’entraînement. S’ils le trouvent « dépassé » aussi, dis-leur que c’est celui contre lequel Luke s’est exercé lors de son premier voyage, et conseille-leur d’essayer de battre ses scores. Quant aux autres… Lance des simulations de combats spatiaux et laisse-les s’amuser.

— Bonne idée…

— S’ils trouvent l’équipement trop vieux, explique-leur qu’il s’agit d’une leçon d’histoire, ajouta Leia.

— Oui, maîtresse Leia, dit le droïd avant de faire demi-tour.

— Tu vois, fit Yan. Trafiquer serait tellement plus reposant…

 

L’Escadron Soleils Jumeaux arriva dans une région presque vide de l’espace pyrien. Ses douze membres se séparèrent en quatre vols et s’éloignèrent tandis que le vaisseau tube restait derrière, manœuvrant pour se placer au point mathématique déterminé par les coordinateurs de l’opération Lanceur d’Etoiles. Puis les chasseurs dirigèrent leurs capteurs vers l’extérieur du système pour être prévenus le plus tôt possible d’une éventuelle intrusion yuuzhan vong.

Parfois, des commentaires divers montaient de l’unité com de Jaina, réglée sur la fréquence de la flotte. Tout était calme sur les quatre positions de l’opération. Les autres escadrons ne signalaient rien d’anormal. Les vaisseaux tubes se mettaient en place.

— J’aime bien ton nouveau look.

C’était Kyp, le volume de sa voix plus élevé que les autres.

A l’extérieur, elle vit le chasseur de Durron, flottant à quelques mètres du sien. Le Jedi lui sourit.

— Quel look ? demanda Jaina.

— La décoration de ton chasseur. Très efficace.

— Oh ! Je vois.

Jaina avait fait peindre son appareil en blanc étincelant. Sur chaque flanc figurait un voxyn en pleine course. Les bêtes reptiliennes, conçues par les Yuuzhan Vong pour repérer et éliminer les Jedi, avaient toutes été tuées ou mises hors d’état de nuire par l’expédition des jeunes Jedi sur le vaisseau-monde, en orbite de Myrkr. Jaina n’appréciait guère les voxyns… Ils avaient tué trop de ses amis et de ses collègues.

Pourtant, l’idée – qui venait de Sharr – de les choisir comme symbole lui avait plu. Jaina appréciait le message étrange que ce choix délivrait. Les Yuuzhan Vong ne pourraient s’empêcher de se poser des questions. Les voxyns voulaient-ils dire que Jaina s’identifiait à la créature ? Que la bête ne lui faisait pas peur et qu’elle avait participé à sa destruction ? Qu’elle admirait sa férocité et son intelligence ? Oui, les Yuuzhan Vong seraient déstabilisés…

Les pilotes de la Nouvelle République – ceux qui n’étaient pas dans le secret – l’étaient aussi.

L’aile X de Kyp portait également une décoration originale, qui devait déplaire aux Jedi autant que le voxyn à Jaina. Des deux côtés du fuselage, on voyait un soleil dévoré par une supernova. Une façon de rappeler que Kyp Durron avait détruit des planètes entières, des mondes impériaux, avec une arme appelée le Broyeur de Soleils. A l’époque, sous l’emprise de la rage, il n’avait pas été assez mûr pour se maîtriser. Même aujourd’hui, beaucoup pensaient que Durron aurait dû payer ses crimes de sa vie… Mais Luke s’y était opposé, et Kyp était parvenu, au fil des années, à une sorte de rédemption incomplète et difficile.

Un instant, Jaina pensa ajouter :

— J’aime bien ton dessin aussi.

Ça blesserait Kyp et ça l’éloignerait d’elle. Mais elle hésita, puis renonça. Elle n’avait pas le courage de lui faire tant de mal.

— Contact, trois-trois-sept, avançant sur nous.

La voix de Gavin Darklighter, sur la fréquence de l’escadron…

— Ici les Chevaliers Sauvages. Cibles fonçant droit sur nous.

Un peu plus tard, le capitaine Reth annonça un contact.

Pour l’instant, rien ne s’affichait sur le tableau de bord de Jaina, mais trois approches simultanées vers les autres escadrons ne présageaient rien de bon.

— Gardez les yeux ouverts, dit-elle à ses hommes.

— Quelle barbe, grogna Piggy, qui était maintenant Soleils Jumeaux Cinq. Moi qui dormais si bien. (Puis il se reprit, comme s’il réalisait que sa plaisanterie risquait de ne pas être appréciée.) Je veux dire… à vos ordres, votre Grandeur !

Jaina sourit. Si elle avait dirigé son unité comme un véritable escadron, elle aurait réprimandé Piggy pour ses commentaires inconvenants. Mais les pilotes de Soleils Jumeaux étaient censés être plus détendus… et plus originaux.

— Leader Lanceur d’Etoiles aux escadrons, nous allons commencer le test.

Quelques kilomètres derrière elle, les deux extrémités du vaisseau tube s’enflammèrent. Un rayon laser de plus d’un mètre de large sortit de chaque côté. Le vaisseau continua à tirer dans l’espace.

Très vite, on annonça que les deux autres vaisseaux tiraient aussi.

Jaina se concentra sur les commentaires des pilotes. Les Rogues, les Chevaliers Sauvages et les Lunes Noires signalaient tous l’arrivée d’escadrons ennemis, trop loin encore pour attaquer.

— Quinze secondes avant l’impact, annoncèrent les vaisseaux triangulaires. Impact. Lien confirmé avec Vaisseau Deux, Vaisseau Trois…

Derrière Jaina, la troisième protubérance du Lanceur d’Etoiles, celle qui formait un angle droit avec les deux autres, rougeoya soudain, et un rayon laser en sortit à son tour.

La voix du chef de projet retentit dans le cockpit.

— Impact estimé : une minute vingt-deux… une minute quinze…

— Les Chevaliers Sauvages attaquent l’ennemi, annonça Danni Quee. Deux escadrons de coraux-skippers sur nous…

— Pareil ici. Deux escadrons. (La voix du capitaine Reth était plus calme.) Tactiques d’approche classiques…

— Deux escadrons sur les Rogues, annonça Gavin Darklighter. (Il ajouta, amusé :) Correction. Deux escadrons moins un…

Jaina fronça les sourcils. Pourquoi les Yuuzhan Vong ne fondaient-ils pas sur eux ? Attaquer trois positions sur quatre n’avait aucun sens. Soit ils concentraient leur feu sur un endroit, soit…

Puis elle les vit. Un petit point de lumière tout en bas de l’écran.

— Ennemis sur nous, annonça-t-elle. Soleils Jumeaux, en position…

 

Yan et Leia, leur unité com activée, suivaient le déroulement des opérations. Les commentaires des pilotes étaient parfois noyés par les cris montant du fond du Faucon, où les apprentis Jedi s’exerçaient à parer les tirs, à frapper des cibles contrôlées par ordinateur et à rendre C-3PO – dont on entendait les protestations inutiles – complètement fou.

— Les Vong sont occupés, dit Leia.

— En effet. Kam, Tionne… rassemblez le troupeau et attachez les têtes de bétail sur leurs couchettes.

La voix grave de Kam Solusar rétablit bientôt le calme à l’arrière du navire.

— Je peux m’asseoir là ?

Yan et Leia se retournèrent pour découvrir Tare, debout à l’entrée du cockpit. L’enfant semblait très malheureux.

— Tu ne veux pas aller avec les autres ? Nous n’avons pas vraiment le temps de nous occuper de toi, mon chéri.

— Ils sont tous meilleurs que moi. Même Syal et Myri.

Leia et Yan échangèrent un regard. Yan éclaircit sa voix.

— Bien sûr, gamin. Attache-toi dans le siège derrière. Et serre bien les courroies.

 

Les deux escadrons de coraux-skippers arrivèrent à portée des pilotes du Soleils Jumeaux. Alors qu’ils se divisaient de nouveau en quatre vols, les skippers formèrent quatre unités de six.

— Procédures standard ! ordonna Jaina, avant de virer vers un des six vols.

Elle chercha Kyp dans la Force, le trouva, se lia à lui aussi aisément qu’on prend la main d’un vieux camarade, puis attendit qu’il sélectionne une cible.

Ils tirèrent ensemble, Jag suivant à une fraction de seconde. Les lasers de Kyp furent avalés par le trou noir. Ceux de Jaina traversèrent la proue, ceux de Jag le cockpit.

Puis, ils firent demi-tour, et les cinq ennemis restants se lancèrent à leur poursuite.

Se préparant pour un nouveau passage, Jaina observait ses instruments. Tous les coraux-skippers se battaient contre ses chasseurs… les adversaires du deuxième vol, celui où se trouvait Piggy, n’étaient déjà plus que cinq. Les autres formations ennemies étaient intactes.

Nul ne s’approchait du vaisseau Lanceur d’Etoiles, qui crachait ses rayons dans trois directions… Non, une, se corrigea Jaina alors que deux des rayons rouges s’arrêtèrent, laissant le troisième navire éjecter son dard de lumière pourpre.

Un projectile passa près de l’appareil de Jaina, mais pas assez près pour vraiment l’inquiéter. Leurs adversaires n’étaient pas l’élite des pilotes yuuzhan vong. La jeune femme le voyait à la difficulté qu’ils avaient à poursuivre ses chasseurs. Le manque de talent de l’ennemi se sentait même dans les voix qui résonnaient dans l’unité com : celles des Rogues et des Lunes Noires étaient tendues, bien sûr, mais Jaina avait entendu bien pire.

Elle fit monter son chasseur dans une grande courbe qui mena son vol loin devant leurs adversaires, près des skips qui attaquaient les pilotes Sept, Huit et Neuf de son escadron. Puis elle effleura l’esprit de Kyp dans la Force. Le Maître Jedi choisit une cible et tira. Le Yuuzhan Vong réussit à virer de manière à placer son système défensif devant son profil le plus étroit, interceptant le tir de Kyp et celui de Jaina, mais Jag, ayant choisi un angle plus compliqué et attendu une fraction de seconde plus longtemps que d’habitude, cueillit le vaisseau ennemi sous le ventre. Il partit en vrille loin de la zone de combat.

— C’est un piège, dit la voix de Piggy. (Le message, transmis par son astromec, était pour les seules oreilles de Jaina.) Je recommande le retour à la base.

Jaina fronça les sourcils. Les cinq skips qui poursuivaient son vol adoptaient une nouvelle formation.

— Je t’écoute, Piggy.

Elle unit son esprit à Kyp jusqu’à sentir sa main sur les commandes. Son appareil et celui de Durron, tous deux contrôlés par Jaina, décélérèrent. Celui de Jag, qui n’était pas lié à eux par la Force, parut bondir en avant.

Kyp tira sur le skip qui approchait et Jaina le suivit. Jag manœuvra habillement sa griffe et, virant serré selon un angle qui aurait envoyé une aile X en vrille, frappa la poupe du vaisseau ennemi.

Celui-ci expédia son trou noir à la rencontre du tir, mais les lasers de Kyp et de Jaina, frappant un instant après, le réduisirent en lambeaux qui partirent virevolter dans l’espace.

Jaina et Kyp firent feu de nouveau, se concentrant sur la formation ennemie. Deux skips explosèrent pendant que Piggy s’expliquait.

— Ecoutez, les pilotes. Nous avons été attaqués par des forces assez puissantes pour s’en prendre en même temps à trois de nos escadrons… mais qui, étrangement, ont attendu que nos amis soient engagés dans le combat pour venir vers nous. Maintenant, ils essayent de nous distraire en nous donnant de la chair à canon pendant qu’ils préparent quelque chose…

— Compris.

Tout en tirant sur un corail-skipper, Jaina réfléchit. Son lien avec Kyp faiblit tandis qu’elle analysait l’hypothèse de Piggy.

Il avait raison. Tout prouvait que le nouveau commandant vong était intelligent et expérimenté. Il n’aurait pas envoyé des pilotes peu talentueux dans une attaque complexe, sauf s’il s’agissait d’une manœuvre de diversion, d’un bluff ou d’un piège.

Mais ils ne pouvaient pas fuir à chaque piège. Les Yuuzhan Vong remarqueraient leur lâcheté et l’utiliseraient contre eux.

— Piggy, nous allons voir ce qu’ils préparent. Préviens les autres – en version courte – sur toutes les fréquences. Mais d’une voix paniquée !

— Compris. (Un instant plus tard, la voix du Gamorréen retentit sur la fréquence de la flotte, avec un accent quasi hystérique.) Votre Grandeur, ici Soleils Jumeaux Cinq. Je sens les terribles griffes d’un piège se refermer sur nous. Il faut fuir !

Jaina ne put s’empêcher de sourire : Piggy était doué pour le mélodrame.

— Calme-toi, Piggy, répondit-elle d’une voix profonde, digne d’une déesse. Tu sens leur piège ? Ils vont bientôt sentir le mien…

Maintenant, il faut comprendre ce qu’ils ont l’intention de faire, les en empêcher, et leur infliger quelque chose de pire que ce qu’ils avaient prévu pour moi. Simple comme bonjour !

Le troisième laser du vaisseau Lanceur d’Etoiles s’éteignit. Le test était terminé – pour l’instant. Jaina passa sur la fréquence générale.

— Lanceur d’Etoiles Un, déguerpissez. Retournez à la base.

— Compris. Lanceur d’Etoiles Un, nous quittons les lieux…